06 avril 2005

D'autres moulins

En sortant de Paris par le canal de l'Ourcq, on n'a pas que de la verdure et des petites fleurs - encore heureux, on n'est pas au fins fonds du Perche tout de même. Premiers bâtiment au sortir de Paris, les magnifiques grands moulins de Pantin. S'arrêter, contempler.


Les grands moulins de Pantin, dimanche dernier vers 11h30.

En revoyant ces photos hier, j'ai réalisé que la plupart des gens qui passent à côté de ces bâtiments, en train, en voiture ou en bicyclette, ne réalisent même pas que leur baguette du matin vient de là. Car, et c'est là que je veut en venir, le citadin ne se pose plus le problème de son alimentation. Enfin, si, il suspecte vaguement que la qualité n'est plus ce qu'elle était, qu'on essaye de lui faire manger des saloperies, etc. Mais quand il achète son pain, il achète ça, du pain. &Cecdil;a vient de la boulangerie. Et avant la boulangerie ? Pas son problème. Et s'il voit parfois un camion de farine garé en double file devant la boutique, il le confondra probablement pour un livreur de fuel.

Reculons, voulez-vous, de deux ou trois siècle. La Seine et tous ses affluents sont suréquipés de moulins à eau partout où l'on peut en mettre, sur les rives, sous les ponts, sur des barges ancrées dans le lit du fleuve. les collines alentours, de Montmartre au plateau de Gonnesse, sont bardées de moulins à vent - technologie coûteuse et incertaine. Que les fleuves gèlent comme à l'hiver 1788, bloquant les roues à aubes, et le spectre de la disette réapparaît : Paris manque de pain ! Car qui dit pain dit farine, et qui dit farine dit moulins : si le grain se conserve honorablement, la farine bien plus périssable et le grain doit être moulu tout au long de l'année.

En amont de la minoterie, même obsession du pain : que la population augmente et les emblavures augmentent d'autant, on fait du blé partout. La plupart des prairies d'aujourd'hui ont été des champs de blé, y compris en période de forte pression démographique des parcelles peu propices à cet usage. Car s'il pleut trop, ou trop peu, ou au mauvais moment ; si l'hiver est trop froid ou s'il est trop doux ; si l'été est orageux et venteux, alors très vite, c'est la crise, les prix s'envolent, les pouvoirs publics tentent d'alimenter les villes au risque de priver les campagnes, les émeutes commencent...

L'importance sociologique des émeutes frumentaires, les effets démographiques de ces crises, tout cela est maintenant bien connu. Mais on réfléchit finalement assez peu à leur disparition. Et ça va vite : la crise européenne de 1847-48 est en partie une crise frumentaire « classique, » certes très atténuée ; la France de l'entre-deux-guerres subit une forte crise agricole de surproduction. 75 ans pour sortir d'un équilibre millénaire fait de peur du manque et d'angoisse du pain, de périodes fastes auxquelles succèdent des années de crise, voire de famine. Avec les lourdes sanctions contre le boulanger qui tricherait sur le poids du pain, les lynchages de meuniers soupçonnés d'avoir volé du grain...

L'agriculture intensive a ses dérives, dommageable au paysage, à notre bien-être ou à notre santé. Mais à la regarder avec l'œil des hommes et femmes d'autrefois, la surproduction généralisée est aussi un petit miracle. Ne l'oublions pas.

Le Plume vous salue bien.

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