20 janvier 2010

Gaffes, bévues et boulettes (Boston Edition)

Bon : ce que la politique américaine n'intéressent ni de près ni de loin sont dispensés de lire cette note : il ne s'agira (presque) que de ça.

Donc, le parti démocrate a perdu hier un siège au sénat des États-unis qu'il détenait depuis des lustres et dont le titulaire depuis 1958, Ted Kennedy, était mort l'été dernier (j'en avais dis quelques mots ici). C'est un revers sérieux pour plusieurs raisons : d'abord, le parti républicain était donné comme mourant dans le Nord-Est : le nombre de représentants et de sénateurs républicains avait fondu comme neige au soleil depuis une dizaine d'année ; ce n'était donc pas là qu'on attendait une contre-attaque. Ensuite, le Massachusetts est considéré (largement à tort) comme l'un des États les plus à gauche du pays - essentiellement parce qu'il avait été le seul à voter pour le candidat démocrate à la présidentielle de 1972, le plutôt gauchiste McGovern, ce qui date un peu il faut bien le dire ; plus récemment, il avait donné 19% d'avance à Obama contre McCain - bref, les démocrates s'y croyaient en terre plus qu'hospitalière.

L'autre raison pour laquelle la chose n'est pas prise à la légère, c'est qu'elle a des conséquences immédiates sur le plan législatif : les règles de procédure du sénat font qu'il est possible d'empêcher la mise au vote d'un texte avec 40 voix sur 100. Les sénateurs démocrates étaient jusque là 60, ce qui les mettaient à l'abri de cette menace (connue sous le joli nom de filibuster) - au prix toutefois d'un pouvoir de nuisance considérable pour les plus centristes des sénateurs démocrates, à même de décider de la vie ou de la mort d'un texte de loi. On repasse maintenant à une majorité de 59, insuffisante donc pour parer aux filibusters... Or, des textes de lois importants et très polémiques sont en court de débat, en particulier la fameuse loi sur la réforme due l'assurance-maladie : autant dire que, dans sa forme actuelle, ce texte est mort et enterré.

Une défaite inattendue jusqu'à ces derniers jours, donc, et lourde de conséquences. Que c'est-il passé ? C'est en fait une véritable guirlande d'erreurs et de coïncidences malheureuses qui s'est construite autour de ce vote.


Boston vu de la baie, juillet 2001.

Commençons par le commencement : la mort de Kennedy survient au plus mauvais moment pour les démocrates car on veut boucler au plus vite la réforme de l'assurance-maladie, le dernier grand projet de Ted Kennedy (et le premier de Barack Obama). Le remplacement d'un sénateur décédé ou démissionnaire dépend des lois de l'État qu'il représente ; par défaut, le gouverneur de l'État est chargé de nommer un remplaçant jusqu'aux prochaines élections générales. En l'occurrence, la loi du Massachusetts avait été changé en 2004 afin d'éviter que le gouverneur de l'époque (le républicain Mitt Romney) ne nomme un remplaçant à John Kerry au cas où il gagne l'élection présidentielle - il ne l'a pas gagnée, mais la loi est restée : le siège doit rester vacant jusqu'à une élection spéciale organisée dans les six mois suivant la vacance. Le Parlement de l'État s'est donc réuni en urgence afin de changer de nouveau la loi pour permettre au gouverneur (qui est cette fois le démocrate Deval Patrick) de nommer un remplaçant en attendant cette élection spéciale.

Évidemment, ce genre de changement des règles du jeu énerve l'électeur ; mais on pensait pouvoir boucler le travail sur l'assurance-maladie avant noël - l'élection spéciale aurait alors eu lieu dans le sillage de ce succès, montrant implicitement que la fin justifiait les moyens. Mais voilà : le travail législatif est lent, très lent - Mark Twain disait qu'il y a deux choses que le public ne devrait pas voir : comment on fabrique les saucisses et comment on écrit les lois. Bref, l'élection sénatoriale n'est pas dans un contexte de victoire mais de discussions de marchands de tapis : le sénat a voté un texte ; la chambre des représentants un autre : il faudrait donc maintenant les « réconcilié » pour que les deux chambres votent un texte unique. C'est donc un moment de tensions exacerbées, motivant en particulier les opposants... Timing loupé.

Ensuite : les primaires démocrates ont produit une candidate médiocre, par défaut : quelqu'un qui ne fâchait personne sans vraiment plaire à grand monde. Comble de malchance, persuadée que la victoire à la primaire équivalait à une victoire à l'élection générale, Martha Coakley n'a pratiquement pas fait campagne, ou très mal, en accumulant les gaffes et sans soulever l'enthousiasme. Pendant ce temps, Scott Brown était porté par la vague d'opposition à la réforme de l'assurance-maladie (opposition qui mériterait qu'on en dise plus long : une autre fois peut-être), lui permettant de faire une campagne dynamique, par ailleurs très bien menée.

Enfin : les démocrates (à Washington comme à Boston) n'ont pas vu le coup venir. Les premiers sondages défavorables sont apparus tard, et venaient de sondeurs réputés plutôt favorables aux républicains : on n'en a pas tenu compte. L'ampleur des dégâts n'est apparu que dix jours avant le vote, bien trop tard pour relancer une campagne qui roupillait tranquillement. Du coup les tentatives de dernière minute ont été vues comme des gesticulations désespérées ; n'a pas aidé le fait que, dès la veille du scrutin, les démocrates de Washington et de Boston aient commencé à s'envoyer la vaisselle à la figure sur le thème « à qui la faute »...

Moralité : pour perdre une élection, rien de tel que de surestimer les éléments favorables du contexte et sous-estimer les autres ; de ne pas faire campagne ou pas assez ; par ailleurs, de se choisir un candidat ou une candidate qui ne tienne pas la route, en se disant qu'il présente bien et que ça suffira comme ça. Bref : ils auraient dû étudier les campagnes de Jospin et de Royal en 2002 et 2007...

Le Plume vous salue bien.

Boîtier Pentax MZ-10, film Kodak Gold 200.

The Bee Gees, Massachusetts, 1967 (non, le chanteur Robin Gibb n'a rien à voir avec le porte-parole de la Maison blanche Robert Gibbs !).

2 commentaires:

Madame Plume a dit…

C'est pas une note de politique américaine! ;-)

Le Plume a dit…

ouaip, mais il y en a... :-)