20 février 2007

Berges

Un peu de littérature :

Le 15 juillet 1840, vers six heure du matin, La Ville-de-Montereau, près de partir, fumait à gros tourbillons devant le quai Saint-Bernard.

Des gens arrivaient hors d'haleine ; des barriques, des câbles, des corbeilles de linge gênaient la circulation ; les matelots ne répondaient à personne ; on se heurtait ; les colis montaient entre les deux tambours, et le tapage s'absorbait dans le bruissement de la vapeur, qui, s'échappant par des plaques de tôle, enveloppat tout d'une nuée blanchâtre, tandis que la cloche, à l'avant, tintait sans discontinuer.

Enfin le navire partit ; et les deux berges, peuplées de magasins, de chantiers et d'usines, filèrent comme deux rubans que l'on déroule.

Il s'agit là, comme vous ne l'avez sans doute pas deviné, des premières lignes de L'éducation sentimentale, de Flaubert. Vous ne l'avez sans doute pas deviné car, élevés comme moi au Lagarde et Michard, vous faites commencer le roman quatre pages plus loin : « Ce fut comme une apparition :», etc. Ou peut-être vous fichez-vous de ces vieilleries comme de vos premières chaussettes.

Pourquoi Flaubert, donc ? Tout simplement parce que le vapeur fluvial dont il est question ici part du quai Saint-Bernard, où se trouve actuellement Jussieu, et remonte le cours de la Seine. Ces berges, ce sont donc celles-là même où je prenais l'air à l'heure de ma pause déjeuner, regardant le ballet heurté des camions, des pelleteuses et des barges sur le bord du fleuve.


Port fluvial de Paris, quai Panhard et Levassor, cet après-midi.

Sur la terre ferme, c'est le vacarme désordonné des activités humaines - la pelleteuse comme incarnation de la force humaine destructrice, le gravat qu'on évacue, le béton qu'on prépare pour d'innombrables chantiers.

Je ne suis pas parti en croisière sur la Seine ; je suis resté sur la berge, dans le vacarme. On n'y est pas si mal.

Le Plume vous salue bien.

1 commentaire:

Anonyme a dit…

Pas si mal dans le vacarme?

Bon, je sais que l'apparition n'ouvre pas le livre, mais c'est effectivement le passage dont je me souviens le mieux..Et pour cause, puisqu'il s'agit d'un des quelques bouquins que je n'ai jamais terminé (oui, j'ose l'avouer). Pas de Lagarde et Michard pour moi (je suis trop jeune eh eh), mais faut croire que certaines choses ne changent pas.
D'ailleurs, en théorie, cela ne m'aurait pas empeché de me souvenir du début...ce que je ferai maintenant, je pense, puisque je visualise bien les lieux:) Je vais meme pouvoir craner devant les potes au passage, c'est cool:p