29 décembre 2005

Hubris et nemesis

Une débutante prometteuse dans le petit monde des blogs d'historiens nous parlait dans son entrée inaugurale de la lecture des anciens ; dans cet esprit, il me semble indispensable, pour penser l'Amérique d'aujourd'hui, de se plonger dans l'histoire de la guerre du Péloponèse de Thucydide.

Voilà donc un État (la cité d'Athènes) qui, au sortir d'un long conflit, se trouve disposer d'une puissance, économique mais aussi militaire, qui dépasse tout ce que les cités grecques avaient connu. Une cité sûre de son bon droit, puisque 2500 ans après nous la voyons toujours comme le symbole de la démocratie éclairée. Et qui, sur la lancée des victoires contre les Perses, étend sa zone de domination sur terre et sur mer, annexant à son profit les instances de la confédération ionienne, imposant sa domination à ses voisins et son contrôle aux routes commerciales les plus lointaines... Cet excès, Thucydide lui donne un nom : hubris.


Un symbole de la puissance américaine : le Washington Monument.

Quoi de plus dangereux, finalement, pour un État, que de croire en sa propre puissance ? Et bien sûr, s'il l'oubliait, ses voisins se chargeraient de lui rappeler. Rappelez-vous, lors de la démolition des bouddah géants par les Talibans, les hauts cris que l'on entendait : « Quoi ? Les États-unis ne font rien ? Ah, si l'Afghanistan avait du pétrole, là, sûrement... » (et bien sûr lorsqu'après le 11 septembre les troupes américaines sont intervenues dans ce pays, on a crié au meurtre, à grand renfort de chanteurs décatis...)

Dangereux, oui, car si l'on croit en sa force, il est rare qu'on n'en use pas - peut-être même se sentira-t-on moralement obligé d'en user, pour peu que l'on se sente investit d'une mission. Et dès lors, le hubris est proche - il suffit que les dirigeants soient médiocres, que cette ivresse les gagnent... Et nemesisn'est pas loin, comme le ressac après la vague, la chute.

Athènes jadis n'avait su se déprendre de cette ivresse, et la ville était tombée. Des signes montrent que les États-unis sont mieux lottis de ce point de vue : la crise de hubris qui a amené à l'invasion de l'Irak est rétrospectivement jugée telle par l'opinion, à qui l'on a menti de manière éhontée ; du coup, il est probable qu'une bonne partie des troupes américaines soient retirées d'ici un an (ce qui n'est peut-être pas un cadeau pour le peuple irakien, mais c'est une autre histoire). Mais ensuite ? Comment un pays qui a un tel différentiel de puissance guerrière avec tous les autres peut-il résister à s'en servir ? Et nous, que voudrions-nous qu'il en soit ? La situation en Birmanie est de plus en plus délirante, souhaite-t-on pour autant une intervention militaire ? Et sinon, est-ce que ça veut dire que nous nous satisfaisons de la situation ?

Pas de question simples, là-dedans - méfions-nous donc des réponses qui le seraient.

Le Plume vous salue bien.

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