16 novembre 2009

La danse des locomotives

La locomotive, les trains : depuis 150 ans, une matière première rythmique évidente, à la portée de tous - et notamment des musiciens de métier, grands voyageurs si l'en est. Des poètes aussi : Whitman parle de rythme, de métrique, de pulsation pour sa locomotive en hiver (1876) ; William Carlos Williams, une cinquantaine d'années plus tard, met en scène la danse des locomotives.


Les voies de la gare de l'Est près de la rue Philippe de Girard, Paris 10e, 8 novembre 2009.

En musique, curieusement, les références ferroviaires explicites prennent assez longtemps à apparaître. J'ai tendance à voir du ferroviaire dans le scherzo du premier quatuor avec piano de Fauré (op. 15), qui date de la même époque que le poème de Whitman - mais il se pourrait que je sois le seul à entendre ça, et encore : certain jour j'y entends une promenade à bicyclette.

Tout à fait explicite, par contre (et à peu près contemporain du poème de Williams) : Pacific 231 d'Arthur Honegger (1923), qui se présente non pas comme une imitation mais comme une traduction musicale des impressions visuelles, sonores et physiques de la reine des locomotives à vapeur : la Pacific 231 (deux essieux-guides, trois essieux moteurs, un essieu arrière : 2-3-1).

Il s'agit d'une courte pièce pour orchestre, qualifiée par son auteur de « mouvement symphonique » : si les pièces courtes pour piano étaient depuis longtemps rentrées dans les mœurs, par contre, pour orchestre, on était habitué à des compositions beaucoup plus longues, symphonies ou concertos. N'empêche : c'est sans doute la pièce la plus connue d'Honegger, et de loin. C'est la seule que je connais, d'ailleurs, grâce à Madame Plume qui me l'a fait découvrir.

Si pas mal de compositeurs de cette époque faisaient dans la musique de scène (cf. Poulenc ou Ropartz, dont je recauserai), destinée à accompagner des pièces de théâtre, Pacific 231 a son origine dans une nouvelle sorte de musique d'accompagnement, vouée à un bel avenir : la musique de film. Honegger avait en effet composé la musique de La Roue d'Abel Gance ; et comme il n'y avait guère de marché de la B.O.F. à l'époque, il l'a retravaillé pour en faire une pièce de concert - ce fameux mouvement symphonique.

Parti du film, Pacific 231 revient au film : je parlais à mon cher père de ce morceau et il m'a parlé d'un film réalisé comme mise en image du morceau, qu'il avait vu alors qu'il était étudiant à Caen dans les années d'après-guerre. Ce film, je l'ai retrouvé grâce aux moteurs de recherche habituels : il est de Jean Mitry, date de 1949 ; ni vidéo-clip, ni documentaire, c'est tout à fait remarquable.

Le Plume vous salue bien.

Références :

- Walt Whitman, « To a Locomotive in Winter », Leaves of Grass (p.471 de l'édition critique Norton).

- William Carlos Williams, « Overture to a Dance of Locomotives », Sour Grapes (1921) (Collected Poems, vol. 1, Londres, Paladin, p. 146).

Musique du jour, devinez quoi : Arthur Honegger, Pacific 231 : ci dessous la vidéo (avec texte en anglais) du court-métrage de Mitry et, pour compenser la médiocre qualité de la bande son du film, une interprétation par le Philarmonique d'Oslo dirigé par l'excellent Mariss Jansons.

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