09 novembre 2009

Mur-mur

Passage obligé du jour : la chute du mur. Pas d'un mur, du mur. J'apprécie la force du symbole, bien entendu, mais tout de même, c'est loin d'être le moment unique, et peut-être pas le moment central de des évènements de l'été-automne 1989. Mais bon, symboliquement, c'est entendu : c'est une rupture, un changement de période, etc. Du coup, d'ailleurs, tout le monde y était, comme bien on sait !

Je ne suis pas un adepte des commémorations en tout genre, de toute façon ; par contre, si ça peut être l'occasion de réfléchir et de prendre du recul, pourquoi pas. À ce propos je vous renvoie à toute une série de billets sur un blog ami qui précisément ont le mérite de remettre les choses en perspective.

En revenant en arrière dans cette série, on est frappé par l'importance des évènements qui se déroulent dès le printemps, non pas en RDA, mais en Pologne et, peut-être surtout, en Hongrie : Budapest avait en effet eu en 1956 la primeur de l'intervention directe (et sanglante) de l'armée russe dans un « pays frère ». Que le parti communiste hongrois décide de réhabiliter Imre Nagy, le premier ministre chassé en 1956 (et emprisonné, et exécuté après un procès sommaire), c'était considérable : ni plus ni moins qu'une déclaration d'indépendance.


Le tribunal militaire de Budapest, 30 juillet 2009.
La place située juste après s'appelle maintenant place Imre Nagy. La station Shell qui s'y trouve n'est pas d'époque.

Le détricotage commence là : le couvercle se soulève, et l'URSS ne semble pas faire mine de vouloir le refermer. Pour des raisons de politique intérieure, ont le sait maintenant : pour Gorbatchev, envoyer l'armée à Budapest ou à Varsovie, c'était laisser la main aux « durs » de l'armée et du KGB, ses opposants les plus farouches. S'il leur donnait le pouvoir là bas, tôt ou tard ils le prendraient à Moscou : au mieux sa fin politique, plus probablement sa fin tout court.

Du coup, à l'automne 1989, l'édifice du pacte de Varsovie est en ruine. La RDA fait figure de dernier morceau ; ce n'était pas une lointaine périphérie du Pacte, mais au contraire un cœur intellectuel, scientifique et technique pour le bloc soviétique - avec des habitants économiquement mieux lotis que tous leurs voisins de l'Est, pour ne pas parler des ressortissants de l'URSS. Seulement voilà : l'attrait de l'autre Allemagne est tel que l'on ne peut conserver en état de marche le pays qu'en interdisant aux habitants de le quitter. Du coup, dès lors que les voisins du pacte s'ouvrent, tout (et tout le monde) fiche le camp : je me souviens très bien d'un dessin de Plantu (j'achetais de temps en temps Le Monde à l'époque, chez un buraliste de Pessac, voisin de ma cabane d'étudiant) où l'on voyait un garde-frontière seul dans un mirador dont s'éloignent des pas : si ça continue, dit-il en croyant s'adresser à son camarade, il ne restera plus que nous deux.

La chute du mur, c'est donc ça : le résultat d'un processus par lequel une construction qui ne tenait que par la force, contre les tropismes géopolitiques et économiques, s'effrite dès lors précisément que la force se relâche ou ne peut s'exprimer. Et dans la joie et la bonne humeur des célébrations, n'oublions pas que cet effritement, c'est aussi les massacres de l'ex-Yougoslavie (la dérive nationaliste de la Serbie de Milosevic avait commencé depuis plusieurs années déjà), les guerres du Caucase qui font suite à l'éclatement de l'URSS, la ruine de l'économie russe suivie du retour au pouvoir de ceux précisément que craignait Gorbatchev... Célébrons si l'on veut, mais lucidement.

Le Plume vous salue bien.

P.S. : chez nous aussi, il y a de chouettes murs, cf. celui-ci !

Boîtier Pentax K1000, film Fuji Pro400H, objectif SMC Pentax-M 35mm f:2.8.

Béla Bartók, sonate pour violon et piano n°1 Sz117, 3 : allegro.

2 commentaires:

Madame Plume a dit…

Le tout dans le cynisme le plus éhonté, alors qu'une mafia moins voyante mais tout aussi violente se frotte les mains... Le trio Madelin-Juppé-Sarko au pied du mur est bien un symbole, mais de quoi déjà? :-/

N. Holzschuch a dit…

Coucou les gens,

la Madame, elle ne manque jamais une occasion de me rappeler qu'avant la Hongrie en 1956, il y a eu l'Allemagne en 1953 (http://en.wikipedia.org/wiki/Uprising_of_1953_in_East_Germany) avec chars soviétiques et écrasement sanglant incorporé. Donc la Hongrie n'a pas eu de primeur, elle a eu la version 2.0, débuggée et améliorée.

Sinon (je prépare un billet sur le sujet qui conclura la série, merci pour la pub au fait), je pense qu'on a beaucoup négligé le rôle des allemands de l'est dans cet écroulement. Quand les gens ont tellement envie de quitter le pays qu'ils sont prêts à partir avec des enfants en bas âge et un petit sac à dos, par une voie de sortie qui n'existe pas encore, le système est déjà fortement en péril. Quand les gens sont prêts à manifester pour réclamer plus de liberté en laissant un parent à la maison en cas de répression sanglante (ce qui veut dire que la répression est une possibilité acceptée dans ses conséquences, et qu'on va manifester quand même), le système est aussi fortement en péril.