13 août 2008

Caucase

L'actualité peut parfois avoir lieu en août. Si, si !

Ces jours-ci, l'actualité, outre les distrayantes sautillades de Pékin, ce sont les grondement des chenilles de tanks dans une région du monde que peu de monde connaît et encore moins comprends : le Caucase. Précisons tout de suite que je ne fais pas partie de ces peu de mondes là...

Donc pour résumer et d'après ce que j'ai pu comprendre (je suis un peu déconnecter de l'actualité en ce moment ; je regarde juste un peu les J.O., et sans le son) : un président de Géorgie, très impopulaire dans son pays, au bord de la crise politique depuis des semaines, se lance dans des rodomontades militaires dans une des deux provinces séparatistes de son pays, l'Ossétie du Sud ; la Russie, son puissant voisin du nord, est trop contente de voler au secours de cette région, dont elle avait encouragé sinon créé ledit séparatisme, et se lance dans une guerre punitive massive contre la Géorgie.

Résultat (probable) des courses : après intervention de la communauté internationale, retours au status quo ante bellum (sauf pour les morts, évidemment), ce qui renforcerait l'indépendance de fait de l'Ossétie du Sud ; probable chute, dans les mois qui viennent, du président géorgien ; renforcement de la présence russe dans le Caucase.

Merci de me corriger si je me plante, hein, j'ai pas tout suivi. Enfin, pour la futurologie, on corrigera ça plus tard.


Tapis de la province d'Ardebil (Caucase iranien).

Le Caucase, donc : au sens strict, une chaîne de montagnes, celle qui sépare justement la Géorgie de la Russie ; au sens plus large, la région comprise entre la Mer Caspienne et la Mer Noire, du Nord de l'Iran et de la Turquie au Sud de la Russie. Des régions montagneuses, du coup - les plus hauts sommets d'Europe, si tant est que l'on soit encore en Europe. Y est on vraiment ? Tout découpage continental serait nécessairement arbitraire. Au bout du compte, on n'est ni en Europe, ni en Asie, on est au Caucase.

Région de montagnes, donc découpé en petites régions totalement étrangères les unes aux autres, avec de forts particularismes linguistiques, culturels et religieux qui jadis réjouissaient les ethnologues, mais qui compliquent singulièrement l'organisation de l'espace en États. Ainsi, la Géorgie, dont la frontière nord est déterminée par la ligne de crête de la chaîne principale du Caucase, comprend des vallées dont les populations se sentent tout, sauf géorgiennes, et qui par contre peuvent avoir des affinités avec leurs voisins du versant nord. C'est le cas par exemple des Ossètes (du Sud) qui de tout points de vues sont proches des Ossètes du Nord, dont le territoire fait partie de la fédération russe. Voilà pour le contexte ethnologique du problème.

Le contexte géopolitique, il est encore moins limpide, évidemment. La Russie de Poutine a joué son va-tout dans la guerre sanglante contre un autre séparatisme, tout proche, celui de la Tchétchénie, un tout petit peu plus à l'Est. La Russie applique donc sur ce point le bon vieux précepte suivant lequel celui qui vous quite est un traître, et celui qui vous rejoint, un converti... Mais tant qu'à avoir investi militairement la région, la Russie veut retirer le plus de marrons possible de ce feu.

Et puis, il y a le pétrole. Pas en Ossétie du Sud, bien sûr (il n'y a pas grand chose en Ossétie du Sud), ni même en Géorgie, mais en Azerbaïdjan, de l'autre côté, sur la Caspienne - les premiers champs de pétroles à avoir été exploités à grande échelle, et il en reste, et du gaz naturel. Dans les régions iraniennes frontalières aussi, peut-être, je n'en sais rien. La Géorgie forme une sorte de corridor, entre petit et Grand Caucase, qui permette d'imaginer une circulation du pétrole de Caspienne vers la mer noire, et donc l'Europe, hors du contrôle russe. Et il est de plus en plus clair que l'énergie constitue la nouvelle arme suprême de la Russie... Que les troupes russes aient concentré leur effort sur la ville de Gori, point stratégique sur cette route est-ouest, envoie donc un message clair : « nous pouvons couper la route géorgienne quand nous voulons et sans effort ».

Voilà. Maintenant, il faut faire quoi ? Pas grand chose, sans doute. L'accord que notre impopulaire président à nous se vante d'avoir arraché de ses petits bras musclés arrange tout le monde : la Russie qui n'a pas du tout envie d'occuper la Géorgie, la Géorgie qui n'est de toute façon pas en situation d'exiger quoi que ce soit, le reste du monde qui veut éviter de multiplier les pétaudières dans ce coin-là... Il n'y a guère que ce crétin de McCain, dont le principal conseiller diplomatique était auparavant le lobbyiste attitré (et richement rémunéré) du gouvernement géorgien à Washington, pour vouloir jouer les gros bras et vouloir s'engager auprès d'un président géorgien discrédité. Mes prévisions : voir plus haut.

C'était notre rubrique de politique internationale, merci de nous avoir suivi.

Le Plume vous salue bien.

[Ce très beau tapis tissé est la seule illustration que j'avais pour cette partie du monde. Il est suspendu à un de nos murs : trop beau pour marcher dessus, et les tapis tissés sont beaucoup plus fragiles que les tapis noués.]

3 commentaires:

jeanpi a dit…

Merci pour cette leçon de géopolitique !
Il n'empêche que nous voilà dans un sacré merdier : une Russie plus agressive que jamais, avec la prétention de retrouver son empire d'influence et nous asphyxier, un Iran qui prépare la bombe atomique, une Chine qui va devenir la première puissance industrielle du monde et qui va vouloir s'en servir ... Il va vite falloir réviser notre angélisme naturel et constater que ce ne sont plus les grandes démocraties qui dictent les règles. De grandes incertitudes sont devant nous ...

Le Plume a dit…

Bah, j'ai été ado dans les années 80, avec la quasi-certitude que l'apocalypse nucléaire était pour l'année suivante, au mieux... Des incertitudes, l'histoire en est faite!

Anonyme a dit…

Merci pour cette explication de texte... Ayant ete, l'annee derniere, tater la neige des montagnes du Caucase avec mes spatules, versant russe, j'etais surpris de constater combien l'armee (russe) est omnipresente dans cette region. Je comprends un peu mieux desormais. Meme si le resultat n'est pas tres reluisant... Toujours est-il que les montagnes y sont si belles !