Discussion l'autre jour en sortant de cours avec une poignée d'étudiant (alors que je commençais à friser l'hypoglycémie, le cours se terminant à 14h - mais c'était sympa quand même) : quel était, me demandaient-ils, mon point de vue sur les organismes génétiquement modifiés. C'est bien embêtant : je ne suis pas certain d'en avoir une, de position. Ce qui, compte tenu de la pression considérable de l'« opinion publique », n'est pas loin d'être en soi une position...
Place de la Sorbonne, 11 avril 2008.
Pour commencer, j'ai de la mémoire : je me rappelle mes lectures du début des années 1980, alors que s'ouvrait le champ de ce que l'on commençait à nommer les biotechnologies. Avec beaucoup d'espoirs, notamment en termes d'agronomie : il s'agissait en quelque sorte de prendre le relai de l'intensification de l'agriculture qu'avait rendu possible la chimie industrielle de la fin du XIXe siècle et dont on commençait à voir qu'elle avait atteint ses limites. La prise de conscience des conséquences catastrophiques de l'utilisation massive du DDT et son interdiction sont sans aucun doute un moment clé de cette prise de conscience.
En même temps, l'Inde, en adaptant ces pratiques à son agriculture, arrivait enfin à nourrir sa population, ce qui n'est tout de même pas rien... Et l'utilisation de produits chimiques en agriculture, sur les deux fronts de l'augmentation des rendements d'une part et de la conservation des produits d'autre part, nous permet de manger à notre faim. Mais la question n'est pas là : il était devenu clair qu'il n'y avait plus guère d'améliorations de ce côté là, alors que la biologie et la génétique avaient, elles, fait des progrès considérables en une vingtaine d'année. On allait donc voir ce qu'on allait voir de ce côté là.
Mais entre le moment où l'on a commencé à entrevoir ces perspectives et le moment où les premières applications ont commencé à voir le jour, l'opinion publique (encore elle !) était devenu unanime, ou presque : les OGM, c'était sûrement horriblement dangereux, on voulait notre mort, c'était sûrement un coup des américains, et pourquoi vouloir produire plus alors qu'on produit déjà trop, etc. J'ai en général du mal à me reconnaître dans ce genre de prises de position viscérales ; en prendre le contrepied sans réfléchir, ce peut être se faire l'agent de groupes pas forcément désintéressés, et pas nécessairement soucieux de l'intérêt général. Il faut donc essayer de réfléchir. Et ce n'est jamais si facile qu'on le croit !
Premier point : non, on ne produit pas trop. De 1920 au années 1980, peut-être ; ce n'est plus le cas aujourd'hui. Que la stupide promotion des biocarburants suffise à faire monter en flèche le cours des céréales suffit à le démontrer. Seulement voilà : on a tous en mémoire les montagnes d'excédents d'il y a vingt ans et on n'a pas actualisé nos images mentales depuis...
Deuxième point : dire les OGM sont dangereux n'a aucun sens. Il y a OGM et OGM, sans guère de points communs entre eux. La question devrait donc être : « comment évaluer la dangerosité d'un produit donné, et peut-on évaluer ce risque au regard de ce qu'il peut apporter ? »
Et ce sera mon dernier point pour aujourd'hui : quand on veut exiger que l'on prouve l'innocuité (des OGM, des « produits chimiques », des ondes radio de telle ou telle fréquence...) on fait, il me semble, un contresens logique. ce qui est généralement un mauvais départ. On ne peut pas plus prouver l'absence d'effets nocifs que l'on peut prouver l'inexistence de quelque chose. On peut juste tenter d'évaluer les probabilité, et attendre de voir si quelqu'un fait irruption dans l'assemblée agitant le quelque chose à bout de bras.
Tout ceci nous ramène donc à la question du risque et de son évaluation. On en reparlera. Et par ailleurs, je ne suis pas naïf : je sais bien que ni Monsanto, ni la FNSEA, ni les députés à sa solde n'ont comme premier objectif de mener à bien une telle évaluation de la manière la plus objective possible...
Le Plume vous salue bien.
P.S. : un projet de recherche d'envergure est en cours, sous la houlette du professeur Dominique Lecourt, sur les enjeux épistémologique de la notion d'évaluation du risque et sur le sens à donner au fameux « principe de précaution ». C'est dire si les chances de venir à bout de ces questions en quelques entrées de blog ou en quelques minutes de discussion dans les couloirs de la Sorbonne sont faibles. Mais réfléchir, c'est toujours mieux que de laisser réfléchir les autres pour nous, il me semble.
[appareil Voigtlander Bessa 1, film Ilford HP5+ (format 120)]