J'en termine avec mes achats de disques du mois dernier : j'ai parlé de Darius Milhaud et de Bach ; j'ai acheté le troisième parce que son contenu même me semblait tout à fait incongru : deux œuvres pour orchestre, écrites par des compositeurs français ayant en commun d'être organistes, d'une part, et d'avoir été considérés de leur vivant comme les plus grands compositeurs français de l'époque. Mais les points communs s'arrêtent là.
Les œuvres en question, ce sont la symphonie n°3 avec orgue de Camille Saint-Saens (1835-1921 si j'en crois le livret du CD) et l'ascension, quatre méditations symphoniques pour orchestre d'Olivier Messiaen (1908-1992). Le tout est joué par l'orchestre de l'opéra Bastille sous la direction de Myung-Whun Chung. Ce qui est étonnant dans cette cohabitation, ce n'est pas tant les différences formelles entre les deux œuvres, c'est (à mon incompétente opinion) leur approche de ce qu'est une composition musicale : l'opposition entre le vide et le plein.
Débris sur le Danube à Budapest, juillet 2009.
Il me semble que la tradition de la musique occidentale est une esthétique du plein - au sens où, dans une peinture à l'huile, qu'elle soit surchargée ou du plus grand dépouillement, on ne voit plus la toile : le peintre a tout recouvert. Ça ne veut pas dire qu'il n'y a pas de silence, évidemment ; mais, globalement, l'espace musical est rempli, tant dans l'étagement des sons que dans le déroulement des mélodies. D'ailleurs, les sommets de cette musique occidentale, en termes d'instruments, c'est l'orgue et l'orchestre symphonique - dans les deux cas, il s'agit de couvrir la plus large palette de sons possibles, du plus grave au plus aigus, et de les faire jouer en même temps. Alors quand en plus on a un orchestre et un orgue...
La musique de Messiaen me donne l'impression d'être là d'avantage pour sculpter le vide : structures rythmiques qui n'emportent pas, mais qui pointent une direction sans y aller vraiment ; lignes mélodiques qui ne donnent pas l'impression de suivre un cours naturel, incontestable, mais qui donnent plutôt à voir les chemins qu'elles n'ont pas empruntés. Bon : ce n'est qu'un point de vue de béotien sur une musique que je découvre à peine.
N'empêche : combiner les deux sur un seul disque, c'est curieux. C'est vrai que si on associe plusieurs compositeurs sur un disque, c'est l'un ou l'autre : soit on joue la cohérence - par exemple, Saint-Saens et Wienawski, pour un disque (que je réécoute souvent) de concertos pour violon. Ou alors on joue le contraste absolu, comme ici. Mais peut-on vraiment écouter les deux à la suite et les apprécier chacun pour ce qu'ils sont ? Le moins qu'on puisse dire est que ça demande une certaine adaptation.
Ça n'empêche pas les deux morceaux d'être magnifiques et magnifiquement joués. La symphonie avec orgue est peut-être jouée un peu trop sérieusement : l'interprétation que je connaissais, par l'orchestre de Philadelphie dirigé par Ormandy, s'amusait plus avec le côté grand tsoin-tsoin de la chose ; là c'est du sérieux, mais c'est plus nuancé du coup.
Le Plume vous salue bien.
Camille Saint-Saens, symphonie n°3 en ut mineur avec orgue op. 78 (orgue : Michael Matthes) ; Olivier Messiaen, l'Ascension, quatre méditations symphoniques pour orchestre. Orchestre de l'Opéra bastille dirigé par Myung-Whun Chung, CD Deutsche Gramophon, 1993.
Deux extraits des œuvres en question, dans des versions, moins bonnes sans doute que celle dont je parle mais disponibles sur deezer : le troisième mouvement de la symphonie n°3 de Saint-Saens et la première partie de l'Ascension de Messiaen.