L'énergie nucléaire : un sujet sur lequel il est difficile d'avoir des propos raisonnables plutôt que passionnels. Surtout quand l'actualité est plutôt brûlante. J'ai eu le plaisir d'en discuter avec un professionnel de la chose ; voici quelques réflexions qui en émergent.
Trois générations de réacteurs à la centrale de Chinon-Avoine, août 2006.
D'abord : il est très douteux que l'accident de Fukushima ait été évitable, compte tenu de ce qu'a encaissé la centrale. On est en dehors de l'épure, dans une zone statistique où l'on ne peut plus guère distinguer l'improbable du très improbable. Et du coup, on est clairement en dehors de ce que les centrales ont été calculées pour supporter.
Ensuite : l'évolution de la situation montre qu'il y a eu des circonstances aggravantes, dues notamment à la conception des réacteurs BWR. Par exemple, le circuit d'eau qui passe ans les turbines est le même que celui qui passe dans le cœur, ce qui fait beaucoup d'eau très irradiée qui circule en dehors de l'enceinte de confinement ; c'est sans doute cette eau qui est en train de s'infiltrer dans le sol et d'être rejetée à la mer.
Enfin : il n'y a pas eu d'emballement du cœur (comme il y en a eu à Tchernobyl) ; les cœurs ont été semble-t-il stoppés comme il faut. Mais même dans un cœur arrêté, il reste des réactions résiduelles, quelques pour-cents de la puissance nominale. Mais ça, ça fait encore quelques millions de watts, qu'ils faut évacuer, sinon tout fond, et là on ne contrôle plus rien, puisque la géométrie normalement savamment calculée se retrouve sans dessus-dessous.
Et là on tombe sur le point majeur de l'affaire, on le sait bien : comment assurer le refroidissement des cœurs quand on n'a plus assez d'énergie pour ça et que les pompes de secours ont été noyées. Et ça, c'est un problème qui se pose de la même manière sur tous les types de centrales ; d'ailleurs, celle du Blayais, près de Bordeaux, s'était fait une grosse frayeur à l'issue de marées hautes en Gironde qui avaient fortement débordées. Une demi-heure sans pompes ; c'était reparti après. Plus longtemps, ça aurait fait du vilain. Sur ce point-là il y a manifestement énormément de travail à faire ; certaines centrales devront sans doute être fermées (quid de celle de Golfech, sur la Garonne, qui en été manque franchement d'eau...).
En tout cas c'est sur ces points-là que l'on se fiche de nous : on ne peut pas dire que l'accident de Fukushima soit impossible chez nous. Hautement improbable, encore heureux ; plus improbable encore qu'au Japon, c'est possible. Mais un cœur qui ne pourrait pas être refroidi ne serait pas plus frais ici que là-bas ; et les fameuses piscines à combustible usagé sont les mêmes en France et au Japon...
En résumé : je ne suis pas anti-nucléaire et je ne vais pas le devenir maintenant. Ce qui ne veut pas dire qu'il faille s'imaginer que c'est inoffensif, ces bestioles ; le pire serait de refuser tout investissement dans la filière pour faire plaisir à l'opinion en laissant donc se dégrader un parc dont on pourrait difficilement se passer (sauf en achetant le courant à l'étranger, comme les Allemands, ce qui évidemment ne fait que déplacer le problème)... Il faut au contraire que le retour d'expérience de Fukushima puisse permettre d'améliorer la sécurité des centrales ; faire beaucoup plus en particulier pour résoudre le problème du refroidissement après un arrêt d'urgence dans des circonstances très défavorables.
Évidemment, tout ça coûte très cher. Et c'est en dernier ressort le point faible du nucléaire : l'économie. Si le développement du nucléaire a été pratiquement stoppé dans le monde entier, ce n'est pas pour faire plaisir aux écolos : c'est parce que ce n'est pas rentable, tant les coûts sont énormes en terme de construction (à mettre au regard d'une durée de vie relativement brève), de sécurisation, et de démantèlement. En France on est allé bien au delà de ce qui se faisait ailleurs parce que la volonté politique a primé sur la rationalité économique. Le problème, c'est que dans un contexte de privatisation ou de semi-privatisation des producteurs, la tentation de rogner sur la sécurité va être forte ; on le voit dès aujourd'hui avec l'usage massif de sous-traitance plus ou moins bien contrôlée dans nos centrales...
Le Plume vous salue bien.
Boîtier Pentax MZ-10.
André Jolivet, concerto pour ondes Martenot (1947).
2 commentaires:
Je ne suis pas tout à fait d'accord sur un point: l'accident de Fukushima (ou plutôt son envenimement) était probablement évitable, car on savait qu'un tsunami de cette ampleur pouvait se produire. Quelques précautions simples auraient pu beaucoup aider.
Mais pour ça il aurait fallu accepter que la sécurité des centrales est un problème collectif, sur lequel chacun peut s'exprimer. Autrement dit un modèle ouvert de sécurité, comme on commence à l'avoir en informatique.
Pour le reste je suis 100% d'accord: ce n'est pas parce qu'il y a eu des erreurs à Fukushima qu'il n'y a pas de risque ailleurs. Et la pire solution est le statu quo: il faut fermer les centrales "dangereuses" (les données de la NRC donne un facteur de risque de plus de 100 entre différentes centrales aux Etats-Unis, et Fukushima était parmi les relativement dangereuses), et au besoin en construire des plus sûres. Après c'est une question de coûts, mais si on ne veut pas finir les pieds dans l'eau, je ne sais pas si on a le choix.
c'est sûr que du point de vue sismique, Fukushima n'est pas le Loir-et-Cher. Mais je crois que ce que voulait dire Michel c'est: ne nous laissons pas embobiner par le discours "c'est parce que c'est chez eux, chez nous il n'y a pas de problème."
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